La Liseuse d'Ordures |
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Paris Février 1999 |
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Jai posé mon sac poubelle sur le palier. Juste devant ma porte, dans langle. Cétait pleine lune et la minuterie ne marchait pas. Ca ma foutu la chair de poule, lombre de la rampe sur le mur. La cage descalier puait la bouffe froide et graisseuse. Cet immeuble, cétait la Tour de Babel des odeurs. Jétais au sixième et jen prenais plein la gueule. Jai refermé la porte. Même chez moi, fenêtres fermées, ça remontait du bistrot den bas, le Ricard et le dégueulis mélangés. Je menfumais aux cônes dencens patchouli pour plus sentir ça. En plus, ma poubelle, je sais pas pourquoi, je pouvais pas dormir avec. Javais limpression que ça charognait au fond du sac. Alors, je la sortais tous les soirs. Tard pour pas emmerder la vieille den face. Le matin, je la descendais vers sept heures avant daller prendre un café au rade en dessous. Dans cette pouillerie, cétait le seul luxe dhygiène que je pouvais me permettre.
Le seul problème, cest que depuis trois jours je retrouvais pas mes sacs le matin. Jétais aller frapper à la porte de la vieille, sur le même palier. Yavait quelle que ça pouvait gêner au dernier étage. Elle mavait ouvert la porte mais juste un peu. Elle avait une grosse chaîne qui bloquait le battant. Au début, quand elle a ouvert, je lavais pas vue. Elle faisait dans les un mètre vingt de haut. Avec une touffe de cheveux gris sale sur le haut. Cétait tout ce que je voyais delle. En plus, elle levait pas la tête pour répondre. Elle fixait quelque part vers ma braguette. Elle a dit quelque chose comme quoi elle avait rien vu, que de toutes façons ça la dérangeait pas que je laisse mes poubelles sur le palier. Yavait une odeur tiède et écoeurante qui montait de son appartement. Ca ma soulevé les tripes. Jai pas insisté. Mais je savais pas qui samusait à me piquer la poubelle. En plus, jaimais pas trop ça. Jarrivais pas à savoir pourquoi, mais ça me travaillait quon me pique mes ordures. Jy pensais toute la journée de savoir ce que javais balancé dans le sac. Javais rien à me reprocher pourtant. Mais, tiens, par exemple, ça ménervait de penser que quelquun connaissait la marque de mes bouteilles de vin. Javais limpression quon fouillait dans ma vie. Et en plus quon en déduisait des trucs faux. La marque de mon vin, cétait pas moi, merde. Jachetais le moins cher. Ca pouvait changer. Donc, ce soir là, je laisse ma poubelle sur le palier et je referme la porte. Ensuite, je me colle à loeilleton. Je sentais que ce que je faisais, cétait stupide. Jallais pas passer la nuit à épier comme ça. On y voyait rien de toutes façons. Le judas, il déformait le palier, avec la lumière de la lune, la rampe tordue, ça faisait une image de film fantastique. Jai éteint la lumière chez moi pour mieux y voir. Au bout dun moment, jai les yeux qui se sont habitués à lobscurité. Cétait curieux. Je me suis dit que les chats voyaient comme ça la nuit. Ca faisait des formes dans le noir. Les marches de lescalier, la porte et le paillasson de la vieille en face. Et puis dun coup, la porte de la vieille qui souvre. Juste un trait de lumière, et je la vois qui sort comme une bombe avec sa tignasse et qui fonce sur ma porte. Jai senti mes cheveux qui se dressaient sur ma tête. Jai pas pu mempêcher de faire un saut en arrière comme si il y avait plus la porte. Josais plus regarder, javais peur de faire du bruit. Jai fini par regarder à nouveau. Il ny avait plus rien. Je revoyais la forme de la vieille, comme une boule en folie. On aurait dit une bête. Jai attendu encore. Puis jai ouvert tout doucement la porte. Yavait plus la poubelle. Jy croyais pas. Cétait cette cinglée qui me piquait mes sacs. Jen ai pas dormi. Javais limpression que lautre folle me fouillait dans le ventre. Cétait pas possible quil existe des tarées pareilles. Jarrivais plus à savoir ce que javais balancé ce soir là. Quest-ce que javais bouffé ? Javais jeté des papiers ou pas ? Jimaginais la vieille en train détaler mes ordures sur sa table. Elle faisait quoi avec ? Ca puait la sorcellerie tout ça. Le lendemain, en sortant pour aller prendre mon café, jai regardé la porte de la vieille. Elle devait être derrière à mépier par son oeil de verre. Jai pas pu mempêcher de baisser le regard. Comme un voleur. Jétais mal. En entrant dans le bistrot, jai croisé le patron qui sortait sa poubelle. Je lui ai demandé si cétait celle de chez lui ou celle du bar. Il ma répondu quil mettait tout ensemble. Il a dit : «Emballé, cest pesé et après moi le déluge.» Jai pas très bien compris mais jen ai déduit que lui, ça laurait plutôt arrangé quon lui pique ses ordures. Jai pas osé lui parler de la vieille. Jaurais pas su comment expliquer. Jai pensé à ça toute la journée. Ca ménervait quun détail aussi idiot me bouffe la vie. Le soir, jai fermé ma poubelle. Puis jai re-ouvert le sac. Je voulais être sûr de ce quil y avait dedans. Mais la boîte de sardines que javais balancée en dernier avait dégouliné sur les papiers. Jai tout refermé en traitant la vieille de sorcière. Jai pris le sac et je suis sorti. Sur le palier, la porte den face était entrebâillée. Jai eu une hésitation puis jai descendu les escaliers au pas de charge. Arrivé dans la cour, jai soulevé le couvercle de la poubelle commune. Une fenêtre a grincé. Jai levé la tête. La vieille mobservait. Les murs qui montaient vers le ciel, ça faisait comme une cheminée. Avec cette tête qui sortait dun trou éclairé. Ca ma pétrifié. Jétais pas fou, elle me surveillait. Jai laissé tomber le couvercle et jai filé dans la rue avec mon sac à la main. Jai fait le tour du paté de maison. Quand jai été sûr que personne pouvait me voir, jai enfoncé mon sac dans une poubelle bien planquée sous un porche. Et jai empilé dautres sacs par dessus. En remontant chez moi, je me suis dit que jallais quand même pas faire ça tous les soirs. Mais là, ça mavait soulagé. Je verrais bien demain.En même temps, je montais lescalier et javais de sales idées qui marrivaient par bouffées. La vieille, javais limpression quelle allait se venger que je lui cache ma poubelle. Quand jai mis la clé dans la serrure, jen tremblais de faire du bruit. Je tourne doucement la clé et jentends un grincement dans mon dos et des bruits de pas comme quelquun qui court. Je me tourne et je vois la vieille qui se jette sur moi et qui saccroche à mon chandail. Jai gueulé, mais jai gueulé, la vieille, elle a eu peur et elle a crié aussi. Et puis, elle me regarde avec des yeux horribles, elle bave un truc blanchâtre et elle tombe raide en arrière. Ca faisait un tas de chiffon et de laine par terre, avec une tignasse à la place de la tête. Et des portes qui souvrent partout dans limmeuble avec les voisins qui arrivent. Quand les pompiers lont emportée, la voisine den dessous, elle me dit avec les yeux rouges : «Cétait une gentille dame. Cest les poubelles qui lont tuée. Ca faisait une semaine quelle les descendait pour pas que les chats les éventrent. Pauvre dame...» Je suis rentré chez moi. Une odeur de Ricard et de dégueulis montait du bistrot. |