Liste des nouvelles


"Ca se passait en 199..., à Paris.
Je ne sais pas si tu as connu cette boîte, plutôt un rade cradingue entre le claque et l’abreuvoir, dans le 11° arrondissement. Le Gobo."

Paris. 3 heures 15 du matin, un vent glacial. Je tenais mon écharpe collée contre mon visage en me disant que je devenais vraiment trop con quand je picolais.

Vers minuit, on a arrêté la Ford fumante sur le parking désert d’un hypermarché. Delago a éteint les phares et s’est étiré avec un bâillement flasque. On est descendu de la bagnole. J’ai allumé une clope.

C’est l’odeur qui m’a réveillé. C’était effroyable. En plus, j’avais le dos en purée de rester tordu sur la banquette arrière. Et j’avais froid. Cette bagnole, elle fuyait de partout. Je me suis redressé et j’ai poussé la couverture sur mes genoux. Devant, Delago était figé au volant.

Je me dis que dans quelques années, j’aurais peut-être la nostalgie de cet instant. Ou peut-être pas. De toutes façons, tout était condamné à se transformer en souvenir ou à disparaître dans l’oubli. Je ne savais plus. Je dégueulais de sensations, de mélancolie, de regrets, d’écœurement. Je n’avais aucune philosophie de la vie. J’avais peur. J’avais toujours peur. Le temps me terrifiait. Je me sentais glisser seconde après seconde.

Nuit de Veille

Je suis allé vers le lit et j’ai ouvert les draps. Sur le côté, il y avait une petit tâche de sang séchée et un trou dans le tissu.
Delago n’a rien vu et j’ai rabattu les couvertures aussitôt en me disant que je lui laisserais la place.


J’ai posé mon sac poubelle sur le palier. Juste devant ma porte, dans l’angle. C’était pleine lune et la minuterie ne marchait pas. Ca m’a foutu la chair de poule, l’ombre de la rampe sur le mur.

On a suivi la camionette jusqu’à la sortie du village. Y’avait que ça qui ressemblait à peu près à un enterrement. Et puis on l’a regardée partir sur la route. C’était triste et minable. Ce petit camion pourri qui filait devant, ça me foutait une rage. Montaney il partait là-dedans comme des caisses de bières vides.

J’aurais voulu dégueuler physiquement sur l’un ou l’autre des deux camps. Mais ça finissait inévitablement en solitaire au fond d’un couloir ou d’une impasse. Je n’avais pas peur de les affronter mais j’avais trop peur d’entrer en contact avec leur sang.

La nuit tombait. J’ai passé la rue Albert, Paris treizième. Sur la droite. Les mains dans les poches. J’étais aigre. De rien. Temps de merde, saison pourrie, rien à faire et pas de fric pour le faire.

Jao Moss Afia était assis au milieu de l’avenue et souriait bêtement sous les flashes avec son front ouvert et ruisselant de sang. Autour de lui, c’était la panique. Les CRS chargeaient comme des buffles et cognaient sans discernement, aidés par des commandos néo-Nazis qui surgissaient comme des éclairs au milieu des manifestants.

Cela faisait cinq minutes que je guettais la vieille depuis mon balcon. Cette fois, j’allais me la faire. J’avais réussi à localiser son passage dans la matinée. Des semaines que j’attendais ça. Je la regardais, avec son manteau qui avait la même couleur et la même texture que la plume d’un pigeon malade.

First day
Calme plat. C’est forcé, sinon c’est l’enfer.
On va quand même pas faire un recueil de larmes de ces quelques pages.

Premier Client
Théodore essuya une dernière fois du revers de sa manche la plaque en cuivre rutilante qui ornait l'entrée de l'immeuble. Depuis le début de la journée, il flottait dans une fierté inquiète mais ce sentiment lui semblait moins violent qu'il ne l'avait espéré tout au long des huit dernières années.

Il s’était donné pour d’autres. Ces autres qui ne subiraient pas comme lui la stupidité corrosive et laminante de cette idiote, sa bêtise au quotidien et à tout propos, sa connerie envahissante.

Chaque matin Gustave retrouvait la même pluie fine qui tombait sur le jardin. Il collait son nez au carreau de la cuisine et regardait avec un air absent l’étendue bosselée de ses citrouilles qui végétaient sous un ciel bas et gris.